J'ai mal à ma MECS
Chacun d’entre nous a déjà croisé la route d’un enfant placé, même sans le savoir, parfois nous en avons même côtoyé de très près. Pourtant, ces enfants, qui n’ont jamais demandé à ce qu’on leur colle une étiquette, sont souvent dénigrés par notre société. Des futurs allocataires des aides sociales, des cas sociaux, des cas désespérés… La réalité, c’est que bien souvent ces enfants ne sont pas abandonnés par leur famille, mais par la société toute entière, et qu’ils se retrouvent victimes dans un système censé les protéger.
Leur sort ne fait pas l’objet de la une des journaux, les politiques ne les mentionnent pas, on n’ose pas en parler. Et cela pour une raison simple : nous avons trop peur de parler des horreurs qu’ils ont pu vivre, et de nous rendre compte qu’indirectement, nous avons laissé faire. Nous préférons les ignorer maintenant, en oubliant que ces enfants, ces jeunes, feront plus tard partie de notre société, cette fois non plus en tant que personnes à protéger, mais en tant qu’adultes, participant à la vie économique, sociale, culturelle et politique de notre pays. Ils seront des citoyens à part entière, à la différence qu’ils n’auront pas eu la possibilité de grandir et de se développer dans les mêmes conditions que la majorité de leurs congénères.
Aujourd’hui, ces enfants sont pour la plupart accueillis dans des maisons d’enfants à caractère sociale (MECS). Peu de gens savent ce que cela signifie, beaucoup ne connaissent du système de protection de l’enfance que l’idée que c’est une machine qui détruit des familles. Permettez-moi donc de vous faire un rapide résumé.
Un système défaillant ?
En France, la protection de l’enfance rentre dans les prérogatives des Conseils Départementaux, qui sont pour ainsi dire les maestros, organisant, coordonnant et finançant les différentes actions et services. Dans chaque département existe un service de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), qui oriente et suit chaque situation. Lorsqu’un enfant est repéré comme étant en danger ou en risque de l’être, suite à un signalement et à une évaluation, plusieurs mesures éducatives peuvent être mises en place, en fonction de la gravité de la situation. Ces mesures peuvent être administratives ou judiciaires, et donc ordonnées par un Juge des Enfants. D’un côté, nous avons les mesures en milieu ouvert, dans ce cas l’enfant reste au domicile de ses parents et des travailleurs sociaux interviennent pour accompagner la famille. D’un autre côté, nous avons les mesures de placement, c’est-à-dire que le jeune est séparé de ses parents et est accueilli par une famille d’accueil ou par un établissement, et c’est là que les MECS interviennent.
Les MECS, plus communément appelés foyers, sont des structures qui accueillent des enfants de manière permanente et qui les accompagnent sur tous les aspects de leur vie, que ce soit le côté médical, scolaire, social, culturel ou familial. Chaque MECS accueille différentes tranches d’âge, pouvant aller des premiers jours de vie pour les pouponnières jusqu’à la majorité et parfois même jusqu’au 21 ans. Certaines MECS se spécialisent pour accueillir des situations spécifiques, ainsi quand des foyers sont spécialisés dans l’accueil des fratries, d’autres se concentrent sur des jeunes qui ont subi des agressions sexuelles.
Sur le papier, tout va bien. Chaque jeune est pris en charge de manière adéquate et est protégé. Alors pourquoi en parler ?
Parce que ce n’est pas le cas. Le système de la protection de l’enfance est en crise, et les MECS aussi. Il n’y a plus de budget, pas assez de professionnels, certains services sont contraints de fermer et il n’y a simplement pas assez de places disponibles pour tous les enfants qui auraient besoin d’être protégés. La protection de l’enfance coûte cher. Les MECS coûtent cher. Et ce n’est pas un investissement rentable, comme toutes les aides sociales, l’argent dépensé ne reviendra pas dans les caisses des Conseils Départementaux ou dans les caisses de l’État, en tout cas pas de manière directe.
Des professionnels en souffrance
On demande aujourd’hui aux professionnels de faire toujours plus avec moins de moyens, on leur demande de s’investir toujours plus, on augmente graduellement leur charge de travail tout en sachant très bien qu’ils le feront, parce que ce sont des travailleurs sociaux et qu’aider leur prochain fait partie d’eux. Alors ils poussent toujours plus, ils font les accompagnements, rédigent leurs rapports, enchaînent les heures supplémentaires et les semaines à rallonge, ils sont là chaque jour, que ce soit en semaine, le week-end ou les jours fériés. Ils se lèvent à l’aube pour embaucher avant que les jeunes ne se réveillent, rentrent chez eux quand il fait nuit depuis longtemps, certains travaillent toute la nuit sans dormir une seule seconde. Parce qu’il faut toujours qu’un adulte soit présent, capable de répondre à un enfant qui a besoin d’aide, de séparer deux jeunes qui sont en conflit, et parfois capable de servir de punching ball à celui qui est là sans le vouloir, qui en veut au monde entier d’avoir été séparé de son parent et qui est submergé par ses émotions.
Le professionnel tient bon pour le bien des autres, souvent au détriment de sa propre santé, et finit par s’épuiser. Dans le domaine de la protection de l’enfance, le turn-over des professionnels ne fait qu’augmenter. Les arrêts maladie se rallongent, les démissions sont courantes et de plus en plus de travailleurs sociaux finissent par changer de voie, dégoûtés du métier parce qu’ils ont trop donné sans voir d’amélioration.
Des moyens insuffisants
On a essayé d’y remédier par de multiples moyens. On a facilité l’accès aux études spécialisées via des bourses ou la prise en charge des frais de scolarité, on a donné des primes, on a réduit la possibilité de faire de l’intérim aux éducateurs spécialisés nouvellement diplômés. Cependant, rien n’y fait. Les équipes changent continuellement, le recours à des professionnels non diplômés est devenu monnaie courante et les services peinent à remplacer les absents. Toutefois, la crise des MECS ne se réduit pas au manque de professionnels, d’autres facteurs tout aussi importants compliquent au quotidien le bon fonctionnement des MECS.
Le profil des jeunes accueillis se complexifie, faute d’autres structures en capacité de les prendre en charge. Les MECS sont confrontées à des enfants ayant des troubles psychiatriques et psychologiques importants, sans pour autant être armées pour les accompagner correctement et de manière individuelle. Les professionnels manquent de formation, les services de soin sont surchargés et manquent cruellement de place et les multiples difficultés rencontrées par les jeunes rendent plus compliqué leur accompagnement.
L’autre problème réside dans le manque de places et de moyens. Les Conseils Départementaux, déjà en grande difficulté financière, serrent la vis en baissant le financement alloué aux services d'accueil des jeunes de la protection de l’enfance. On tente de privilégier les mesures en milieu ouvert, qui coûtent moins cher qu’un placement en dehors du domicile familial. On réduit les prix de journée, c'est-à-dire ce qui est versé par jeune et par jour pour sa prise en charge, ce qui pousse souvent les services à devoir faire des choix sur les priorités financières à suivre. On diminue drastiquement les prises en charge des jeunes majeurs, ceux qui sortent d’un parcours de placement et qui continuent à être suivis jusqu’à 21 ans. On ferme des services parce qu’ils sont trop onéreux, même s’ils sont parfois nécessaires à la prise en charge du jeune, ce qui ne fait que réduire encore plus les places disponibles.
"Des bandages sur des plaies béantes"
Aujourd’hui, les ordonnances de placements, émis par les Juges des Enfants, peuvent mettre plusieurs mois à être mis en place. Ce qui signifie qu’un enfant qui est en danger dans sa cellule familiale va y rester jusqu’à ce qu’une place se libère. Même les accueils d’urgence, censés pouvoir accueillir quasi immédiatement les jeunes après une ordonnance de placement, peinent à remplir cette mission. Pire encore, alors qu’ils n’accueillent normalement les enfants que sur des temps courts, le temps de les réorienter, ils les gardent de plus en plus souvent plus longtemps, faute de place ailleurs.
Ce climat instable dans les MECS s’étend aujourd’hui à toute la protection de l’enfance. On essaye de mettre des bandages sur des plaies béantes pour tenter de limiter les dégâts, mais la réalité est qu’on ne remplit pas l’objectif principal et immuable qui est de protéger ces jeunes qui sont tout autant victimes dans leur famille que dans le système de l’aide sociale à l’enfance. La société a simplement décidé de fermer les yeux, les politiques ne réagissent pas, tout comme l’Etat qui s’est dégagé de cette charge il y a plusieurs années maintenant. Il est pourtant nécessaire que l’on agisse, car il est de notre responsabilité collective de permettre à chaque enfant de grandir dans de bonnes conditions.
