Un PEGI pour les livres ? Faut-il imposer une limite d’âge légal sur la lecture de certains livres ?
Pour être tout à fait honnête, lorsque je me demande s’il faudrait imposer une limite d’âge dans la lecture de certains livres, je pense d’abord à la Dark Romance, et à certains mangas. J’ai souvent eu des discussions avec des proches sur la dark romance où globalement on était d’accord sur la morale très bof de ces romans, notamment du fait que le lectorat est bien plus jeune que celui visé au départ.
Qu’est-ce que la Dark Romance ?
C’est une branche de la New Romance qui est focalisée sur la romance dans son sens contemporain, donc des histoires d’amour, souvent hétéronormées. Nos parents les comparent probablement aux romans de gare. Sauf que le genre se divise dorénavant en différentes branches, dont une qui peut choquer en utilisant des thématiques assez violentes, où les relations amoureuses sont rarement saines. C’est une sorte d’ennemis-to-lovers pousser au point où le bourreau et la victime tombent amoureux, quasi systématiquement.
Parmi les thématiques les plus récurrentes, on peut trouver le kidnapping, la torture, des viols… Le tout dans un environnement hostile où la violence fait loi. La romance est au centre de ces récits, souvent dans des contextes particuliers où les difficultés de la vie créent du lien entre les personnages.
Si vous aussi, dans votre jeunesse, vous avez parcouru WhattPad et Skyblog à la recherche de fanfictions, vous verrez des similitudes. C’est bien normal, la Dark romance est l’héritage de ces écrits amateurs mais publiés. Cinquante nuances de Grey est la plus connue de toutes. Hors Dark Romance, on trouve également tout un tas de romans dont les actes sexuels sont très imagés et assez détaillés. C’est le smut. Ici, même si le reste du récit n’aborde pas de sujets à débats, ces passages de smut se rapprochent parfois d’un écrit pornographique.
Et les mangas alors ?
On pourrait ensuite lister tous les mangas dont la vente publique pourrait être contestée, mais on n’aura pas assez de caractères disponibles, je le crains. Non seulement il existe une quantité astronomique de mangas différents, mais surtout, il y a tous les genres disponibles dans ce format : romance, drame, philosophie, policier, super-héros… et avec tout autant de thèmes abordés.
Venant du Japon, le manga a ses propres codes en accord avec son pays d’origine, où les coutumes et la culture sont bien différentes des nôtres, en Occident. Les notions de consentement, de bien et de mal, d’acceptable ou respectables vont entrer en conflit avec nos normes. Pourtant, nous sommes un des pays qui consomment le plus de mangas. Hormis quelques censures, il n’y a pas de restrictions sur leur achat, y compris pour les hentais qu’on peut simplement acheter en librairie.
Vinland Saga, Berserk, l’Attaque des Titans et bien d’autres sont typiquement le genre de mangas lus par des adultes et des (très) jeunes alors que la violence physique est au centre du récit. Ici, pas besoin d’imagination comme avec les romans, grâce au dessin.
Depuis environ cinq ans, on voit enfin des notes d’avertissements dans les rayons des librairies. Depuis un peu plus longtemps encore dans les livres, dans les premières pages, on peut trouver une liste de trigger warning. Cependant, dans les deux cas, c’est souvent écrit petit, peu visible, et jamais sur les couvertures. Or, la mention PEGI est sur visible sur tous les boîtiers de jeux vidéo, ce qui signifie que le jeu est déconseillé en dessous de l’âge indiqué. Peut-être que cette mention a permis de protéger, même si elle n’interdit pas la vente, mais elle a aussi pu effrayer les parents alors que leur variété est aussi importante que dans le monde livresque.
Alors pourquoi pas sur les livres ?
S’il y a des restrictions au cinéma, et un âge minimum conseillé pour les jeux vidéo, pourquoi est-ce que le livre n’en a pas ? Il est difficile de répondre à cette question en se basant uniquement sur le concret, parce que rien ne le justifie.
Sur Reddit, je suis tombée sur un débat qui posait le même questionnement : "C'est une question super intéressante. J'ai l'impression que les livres nourrissent et développent les structures existantes de l'esprit de manière organique. Il peut être difficile de se traumatiser en imaginant des scènes dans un livre qui ne peuvent être construites visuellement qu'avec des points de référence existants dans votre imagination. Pourtant, en même temps, les livres posent des dilemmes moraux qui vous permettent d'y réfléchir. Les films, la télé et la musique introduisent en quelque sorte ces points de référence avec les conclusions morales d'autres personnes qui y sont attachées. On lit toujours un livre de manière critique".
Ce raisonnement en particulier m’a intrigué. Cette personne accorde à la lecture une puissance intellectuelle permettant de développer son esprit critique, en toute circonstance. Or, l’histoire ou encore la philosophie ont les mêmes objectifs tels qu’ils sont enseignés à l’école. L’écriture et les autres arts sont tous des moyens d’expression et de dénonciation.
Cet internaute ajoute également "il peut être difficile de se traumatiser en imaginant des scènes dans un livre". Si l’esprit est assez puissant pour émettre une opinion structurée sur un écrit, pourquoi est-ce qu’il ne le serait pas suffisamment pour imaginer des scènes de n’importe quel livre ? Les mots, écrits ou parlés, ne sont pas moins impactants que les images. Si on peut appliquer ce raisonnement à propos du harcèlement ou de la diplomatie, on peut aussi le faire pour les livres.
Conclusion
Le pédantisme de la lecture a amené à ignorer les nouveaux d’écrits qui ont émergé mais surtout leur impact. Pourtant, ils ont leur public, avec des communautés larges et très présentes sur les réseaux sociaux, ce qui permet aussi de continuer à faire vivre le secteur du livre. S’il y avait des restrictions, il y aurait probablement moins de ventes, or les librairies sont déjà en périls. Le livre étant très peu rentable, notamment à cause de la loi Lang qui impose un prix unique sur le livre, élargir les possibilités de lecture pour avoir une clientèle plus large aide grandement à maintenir l’existence des librairies et des maisons d’éditions.
